Mihu Yehudi – Qui est juif? (1ère partie)

Uploaded imageAvant-propos : Cette publication est la première partie d’une courte série sur le Judaïsme messianique (ou plutôt les judaïsmes messianiques, devrais-je dire, puisqu’il existe plusieurs courants de pensée au sein de ce mouvement). En effet, je me suis rendu compte que je ne peux pas parler de cette dénomination qui est constituée principalement de juifs qui reconnaissent Jésus (Yeshua) comme le Messie, sans m’attarder sur une notion qui ne semble toujours pas si facile à définir et circonscrire : l’identité juive.

Il arrive parfois que des juifs et des non-juifs me demandent si je suis « juive », simplement parce que je porte quelque chose que l’on pourrait rattacher à la religion ou à la culture « juive ». Lorsque la question est posée par des non-juifs, elle sous-entend : « Es-tu de confession religieuse juive? Pratiques-tu le Judaïsme? ». Quand elle provient de personnes juives, elle semble plutôt faire référence à mes origines ethniques puisque l’on me demande si je suis éthiopienne (et non de nationalité israélienne). Dans les deux cas, je suis toujours surprise, car de mon point de vue, je ne peux pas comprendre qu’on puisse penser que je sois juive, que ce soit d’un point de vue religieux ou ethnique. « Qui est juif? » est donc une question que je ne me suis jamais posée tant la réponse me semblait évidente. L’est-elle vraiment? Avons-nous tous la même conception de ce que signifie ou représente le mot « juif »? Le terme représente-t-il une religion, une race, un peuple? Pourquoi tant de confusion et comme on le verra, parfois de tensions autour d’une identité?

Carte des royaumes d’Israël et de Juda – Eric Gaba, Wikimedia Commons

D’un point de vue étymologique, le mot « juif » tire son origine de l’ancien royaume de Judah, issu de la scission du royaume d’Israël qui a suivi la mort du roi Salomon (1 Rois 12). Le royaume regroupait alors les tribus de Judah et de Benjamin et Jérusalem en était la capitale. La ville fût conquise par les Chaldéens (2 Rois 24 : 18-20; 25 :1-21; 2 Chroniques 36 :11-21; Jérémie 39, 52) et ses habitants furent déportés en exil à Babel (le mot « Babylone » n’apparaît pas à aucun moment dans le TaNaKh; que ce soit en Genèse 11 ou dans les autres livres de l’Ancien Testament, on parle toujours de Babel pour désigner la ville chaldéenne puis perse) en 3 vagues (Jérémie 52 :28-30). Après l’accomplissement des prophéties sur la prise de Babel lors des conquêtes médo-perses (Daniel 5, 6 :1; Ésaïe 45 :1-13), l’ancien royaume de Judah devint une province de l’Empire perse appelée Yehud Medinata (Yehud). Après le retour d’exil de Babylone, tous les descendants d’Abraham, Isaac et de Jacob qui s’installèrent dans la région administrative de Yehud, peu importe leur tribu d’origine, furent désormais connus sous le vocable de « juifs » (Néhémie 1:2, 16). Par exemple, à l’époque du Second Temple, on constate que certaines personnes issues des 10 tribus autres que Judah et Benjamin vivaient dans la province romaine de IVDA (cf. Luc 2 :36 où l’on fait référence à la prophétesse Anne de la tribu d’Asher).

 

Province romaine d’IVDA – Andrews, Wikimedia Commons

Pendant la période hellénistique, le terme « juif » fait référence à un peuple mais aussi au territoire où ils vivent, et qui deviendra plus tard la province romaine d’IVDA (Livres apocryphes des Maccabées). IVDA (en grec, Ioudaia; en français, Judée) comprend les districts de d’Idumée, de Judée, Samarie, Galilée et Pérée. Au sein de l’Empire romain, les personnes de la province de IVDA et qui sont des descendantes de l’une des 12 tribus d’Israël, sont appelées en grec : « Ioudaios », en latin : « Iūdaeus ». Cette désignation vient de l’araméen « Yehudai » et est une traduction de l’hébreu « Yehudi », qui signifie à l’origine « membre de la tribu de Judah » ou « ressortissant du royaume de Judah ». Un « Ioudaios » est un juif, c’est-à-dire une personne qui adore le Dieu dont le temple se trouve à Jérusalem et qui vit conformément aux us et coutumes des juifs. Cette personne peut très bien vivre dans la province romaine de IVDA ou à l’extérieur de celle-ci (cf. Jacques 1 :1). En 135 apr. J.-C., la province d’IVDA est renommée Syrie-Palestine.

 

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Toutefois, il est difficile, voire impossible, de découvrir l’origine des juifs sans ouvrir la Bible. D’ailleurs, pour tout lecteur de l’Ancien et du Nouveau Testament, les mots « hébreu », « israélite » et « juif » sont substituables. Ils font tous référence à la même chose : un membre du peuple d’Israël, le peuple dont les patriarches sont Abraham, Isaac et Jacob pour ancêtres. Chaque appellation met en fait l’emphase sur certains aspects de l’histoire de ce peuple.

Au départ, les juifs sont connus dans la Bible sous le vocable d’« Hébreux » (Ivrim). En effet, tout commence avec l’alliance que l’Éternel conclut avec Abram (Abraham) :

« Je ferai de toi une grande nation, et je te bénirai; je rendrai ton nom grand, et tu seras une source de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront; et toutes les familles de la terre seront bénies en toi. » (Genèse 12 :2-3)

« L’Éternel dit à Abram, après que Lot se fut séparé de lui: Lève les yeux, et, du lieu où tu es, regarde vers le nord et le midi, vers l’orient et l’occident; car tout le pays que tu vois, je le donnerai à toi et à ta postérité pour toujours. Je rendrai ta postérité comme la poussière de la terre, en sorte que, si quelqu’un peut compter la poussière de la terre, ta postérité aussi sera comptée. Lève-toi, parcours le pays dans sa longueur et dans sa largeur; car je te le donnerai. » (Genèse 13 :14-17)

L’alliance sera ensuite confirmée à Isaac, le fils d’Abraham (Genèse 26 :2-5, 24), puis reconfirmée à Jacob, le fils d’Isaac (Genèse 28 :13-14; 35 : 11-12).

Dans Genèse 14 :13, on voit que Abraham était appelé « Abram l’Hébreu ». Selon le Dictionnaire biblique et théologique de l’édition Segond 21 de la Bible, un « Hébreu » serait un « descendant d’Héber, un fils de Sem (Genèse 10 :21). En hébreu, la racine du mot « hébreu » (Ivri) signifiant « traverser, passer de l’autre côté » alors l’Hébreu pourrait aussi être celui qui est passé de l’autre côté du fleuve comme Abram et ses descendants (Josué 24 :3-15). Selon cette perspective, les Hébreux sont des descendants directs de Sem (Genèse 10 :21) et Abram est leur père (Genèse 11 :10-32). Le terme « hébreu » est donc d’abord appliqué à Abraham, puis aux descendants de son petit-fils Jacob (Genèse 39 :14, 17). Ces descendants sont désormais reconnus comme un peuple (Genèse 40 :15), puis une nation (Exode 19 :6) occupant un territoire qui est le sien. Dans le Nouveau Testament, « Hébreux » désigne les juifs habitant la province romaine d’IVDA et parlant l’araméen, par opposition aux « Hellénistes », juifs de la diaspora parlant le grec (Actes 6 :1). »

Lorsque les Hébreux s’installent dans la terre promise de Canaan (Genèse 15 :18-21; 26 :3; 28 :13-15), ils sont alors connus sous le terme d’« Israélites », dont la racine est « Israël », le nom que l’Éternel a donné au petit-fils d’Abraham, Jacob, à Péniel (Genèse 32 :25-29; 35 :10). Les descendants de Jacob sont désormais parfois appelés « Israélites » ou « Fils/Filles d’Israël » (b’nei yisrael).

Le vocable « juif » est utilisé pour la première fois dans le second livre des Rois (2 Rois 16 :6; 25 :25) et décrit les habitants du Royaume de Juda. Quant à Mardochée, membre de la tribu de Benjamin exilé à Suse, il est le premier personnage biblique désigné comme « juif » (Esther 2 :5). Au retour de l’exil babylonien, le mot « juif » représente désormais tous les descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.

Pour récapituler : qui était alors le premier juif?

  • Si par le mot « juif », on entend le terme « hébreu » et qui aussi utilisé pour parler des descendants de Jacob, alors Abraham était le premier juif.
  • Si par « juif », on entend « membre de la tribu de Judah » alors que le premier « juif » était Judah.
  • S’il s’agit du premier personnage biblique appelé expressément « juif », il s’agit alors de Mardochée (Mordecai).

 

Uploaded imageAprès le résumé que je viens de vous faire de l’évolution du mot « juif » au cours de l’histoire, vous devriez désormais être en mesure de savoir quelle acception s’applique lorsque vous le rencontrez dans le Nouveau Testament. En effet, le terme « juif » est tantôt utilisé pour désigner les autorités religieuses de Jérusalem (Jean 1 :19; 9 :22) ou les différents partis politico-religieux de l’époque du Second temple (pharisiens, sadducéens, esséniens, zélotes), tantôt pour parler des habitants du district de Judée (Jean 7 :1). Mais il fait aussi explicitement référence au peuple qui a pour Dieu, Celui d’Abraham, Isaac et Jacob (Matthieu 2 :2; 27 :11, 37). Dans le Nouveau Testament, le mot « juif » est utilisé afin de distinguer ce peuple des non-juifs comme les Samaritains, les autres nations, les craignant-Dieu et les prosélytes (Jean 4 :9; Actes 2 :10; 13 :16, 43; Romains 2 :9).

À la lecture du Nouveau Testament, il semble que les juifs, Yeshua y compris, préfèrent plutôt utiliser les expressions « israélites », « hébreux », « fils d’Israël », « communauté d’Israël » pour se désigner en tant que peuple.

« Sont-ils Hébreux ? Moi aussi. Sont-ils israélites ? Moi aussi. Sont-ils de la postérité d’Abraham ? Moi aussi. » (2 Corinthiens 11 :22)

 

Du point de vue biblique, les juifs sont donc une nation, car ils sont les descendants d’Abraham, Isaac et Jacob. On voit ainsi que l’identité juive est une question de filiation et non de religion. Par conséquent, un juif ne peut jamais devenir un non-juif et vice-versa. D’un autre côté, si un juif décide de devenir athée ou de croire que Yeshua est le Messie annoncé au peuple juif, rien ne peut changer le fait qu’il est un descendant d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Dans la Bible, l’appartenance à ce peuple se fait à travers une filiation patrilinéaire (cf. Livres de la Genèse, des Nombres et des Chroniques, Mathieu 1 :1-17; Luc 3 :23-38). Pourtant, si vous demandez à n’importe qui aujourd’hui, comment se détermine l’identité juive d’un individu, il y a de très fortes probabilités que l’on vous réponde : « si sa mère est juive ».

Selon le judaïsme rabbinique, la judéité d’un individu issu d’un couple mixte (juif et non-juif) est déterminée de façon matrilinéaire. Ainsi, depuis le 2e siècle : tout individu dont la mère est juive (de naissance ou convertie au judaïsme) est aussi juif. Si plus tard, cet individu devient un apostat au regard de la religion, il reste un juif pour ce qui est de son identité, selon la halakha (droit religieux orthodoxe). L’enfant d’un père juif et d’une mère non-juive est donc non-juif et est appelé un(e) mamzer. Aujourd’hui, parmi les différents courants du judaïsme, seul le karaïsme (judaïsme karaïte) applique une règle patrilinéaire pour les questions de filiation.

La règle de la filiation matrilinéaire n’est mentionnée nulle part dans la Bible. Certes, les unions mixtes sont proscrites par l’Éternel (Exode 34 :16; Deutéronome 7 : 3-4), mais de telles unions sont mentionnées dans la Bible. D’ailleurs, la mère de Manassé et d’Éphraïm, les ancêtres de 2 des 12 tribus, était égyptienne, mais pourtant Manassé et Éphraïm sont bel et bien reconnus comme juifs, puisque leur père Joseph l’était (Genèse 41 :45, 50-52). Le roi David était juif, bien que son arrière-grand-mère Ruth et son arrière-arrière-grand-mère Rahab soient non-juives. Elles n’ont jamais été appelées « juives » dans les Écritures (Josué 6 :25; Ruth 1 :22; 2 :2, 21; 4 :5, 10). Dans les Écritures, une personne qui adopte la religion des juifs, ne devenait pas juive, mais était appelée un(e) « prosélyte » (Matthieu 23 :15; Actes 2 :10; Actes 6 :5; 13 :43). À l’époque du Second Temple, il faut aussi distinguer le craignant-Dieu (Actes 13 :16) qui est un non-juif qui adhère aux croyances religieuses des juifs sans pour autant être circoncis ou manger kosher. Plus tard, il sera dit que Osnath, Rahab et Ruth se seraient converties au judaïsme, mais il est important de noter que même le TaNaKh ne mentionne pas de conversion au judaïsme, encore moins de procédures pour en faire une.

Uploaded imagePetit apparté: Selon l’historien juif Flavius Josèphe (Yossef ben Matityahou HaCohen), lorsque la maison royale d’Adiabène décide de se convertir au judaïsme au premier siècle, le roi Izatès II se rend compte qu’il ne pourrait être considéré comme un vrai juif que s’il se fait circoncire, celle-ci étant l’un des signes externes et permanents de la conversion au judaïsme pour les hommes adultes (on comprend mieux la controverse d’Actes 15:1-35). Au 2e siècle, à une époque où la conversion au judaïsme est interdite par le droit en vigueur, pour les rabbins, la circoncision est le signe permettant de distinguer le ger tzedek (un prosélyte) du ger toshav (c-à-d un craignant-Dieu, un non-juif non circoncis qui se rend à la synagogue et respecte les mitzvot).

Il est important de faire remarquer, que même aujourd’hui, à l’exception de la filiation, la halakha applique le principe de la patrilinéarité pour les questions de parenté, successions, ou de sacerdoce des prêtres.

« La famille du père est considérée comme étant celle de l’enfant, la famille de la mère ne l’est pas » (Talmud de Babylone, Bava Batra 109b)

Aujourd’hui en Israël, c’est le Grand-rabbinat d’Israël qui s’occupe des dossiers de mariage, divorce et d’enterrement dans des cimetières juifs, en appliquant la définition orthodoxe de l’identité juive, c’est-à-dire la règle de la filiation matrilinéaire.

 

Dans la 2e partie, j’expliquerai sommairement que contrairement à ce que l’on croirait, la halakha ne permet pas aujourd’hui, même en Israël, de répondre à la question : « Qui est juif? ». En effet, celle-ci reste au cœur de nombre de litiges devant les tribunaux du pays. En attendant, pour les curieux et en réponse à la question qui m’est parfois posée :Uploaded image

 

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PS : Je vois déjà certain(e)s en train de se triturer les méninges en se disant : « Je ne suis peut-être pas ethniquement juif(ve), mais je suis un(e) juif(ve) spirituel(le). » L’êtes-vous? 😋

 

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L’opinion exprimée dans ce billet n’engage que son auteure.

 

8 commentaires

  1. […] Les historiens et théologiens sont unanimes sur un point: Yeshua n’est probablement pas né le 25 décembre de l’an 0, puisque l’an 0 n’existe pas (en effet, on passe de l’an 1 av. J.-C. à 1 apr. J.-C.) ! Il n’est pas né non plus en l’an 1, qui correspond à l’Anno Domini Nostri Iesu Christi (AD), c’est-à-dire « en l’année de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Cette année correspondrait à l’année de naissance de Yeshua, telle que calculée au 6e siècle par le moine Denys le Petit lorsqu’on lui a demandé de trouver une méthode de calcul de la date de la fête de Pâques. Cependant, Denys le Petit s’est basé sur des hypothèses erronées. Sa datation de l’année de naissance de Yeshua ne concorde pas exactement avec les récits des évangiles de Matthieu et Luc sur les évènements entourant la naissance du Messie. Tout en tenant compte de l’erreur de datation du moine, du chapitre 2 de l’évangile de Matthieu, ainsi que de la théorie qu’Hérode 1er le Grand serait mort en l’an 4 av. J.-C., on a longtemps estimé que Yeshua serait né entre 6 et 4 av. J.-C.. Pourtant, cet intervalle de temps ne permet pas d’expliquer pourquoi certains évènements rapportés dans les deuxièmes chapitres des évangiles de Matthieu et de Luc, tels que le massacre des Innocents, le recensement et la date de celui-ci, ne correspondent pas aux informations consignées dans les documents historiques des provinces romaines de Syrie et d’IVDA. […]

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