« Paie ce que tu me dois » (Matthieu 18:28)

Un(e) enfant profondément blessé par un mauvais parent (abusif, absent, alcoolique, infidèle, narcissique, etc.) vivra une grande partie de son existence en ressentant une certaine confusion au niveau de ses émotions: insécurité affective, colère mais aussi espoir.

  • insécurité affective: en effet, le manque d’amour parental sain laisse un trou béant dans le cœur de l’enfant. En outre, lorsque l’un des premiers êtres humains censé vous protéger a failli à son devoir, comment arriver à faire confiance plus tard?
  • colère: car la société, l’église et même la Bible, ne semblent pas a priori être de votre côté. « Honore ton père et ta mère »; c’est le seul commandement du Décalogue auquel est attaché une promesse (Exode 20:12). L’ enfant aura beau avoir rempli ses obligations filiales tandis qu’il y aurait beaucoup à redire sur le respect par le parent des siennes, la parole de l’enfant sera souvent mise en doute, notamment dans les cultures où il n’est pas permis d’exprimer un quelconque sentiment à saveur négative envers ses géniteurs. Cette attitude de scepticisme, voire d’invalidation de l’expérience de l’enfant, s’observera aussi chez des personnes d’un certain âge, peu importe la culture dont elles sont issues.
  • espoir: un enfant en manque d’amour nourrit, même après être devenu un adulte, l’espoir que le parent toxique finira bien par se rapprocher du parent modèle qu’est l’Éternel: aimant (1 Jean 3:1), juste dans ses sanctions (Proverbes 3:11-12), fiable (Jacques 1:17), plein de compassion (Psaume 103:13) et qui ne rabaisse jamais celui qui le sollicite (Matthieu 7:11).

Cela dit, qu’arrive-t-il alors lorsque ce parent problématique ne change pas d’un iota et qu’il semble que désormais vieux, il est plus que jamais enraciné dans ces « travers »? Quelle est la réaction appropriée quand il/elle nie, minimise, justifie, excuse, spiritualise ou rationnalise ses précédents actes? L’ enfant devrait-il se construire une machine à remonter le temps afin d’aller récolter les preuves indéniables des abus qu’il affirme avoir subis?

« Un espoir différé rend le cœur malade, Mais un désir accompli est un arbre de vie. » (Proverbes 13:12)

Nous avons tous lu ou entendu une version de cet énoncé sur la rancœur (qui est apparu pour la première fois dans le livre « The Angry Christian » de Bert Ghezzi en 1980):

« Le ressentiment est tel un poison que nous transportons partout à l’intérieur de nous, avec l’espoir que lorsque nous en aurons l’occasion, nous pourrons le déposer là où il fera du mal à l’autre qui nous a blessé. Le problème est que nous transportons ce poison à nos grands périls.«  (page 99)

Spilled water
« L’eau renversée est difficile à récupérer. » (Proverbe chinois)

Toutefois, je ne crois pas que tous les adultes dont les parents ont sérieusement failli à leurs obligations, voudraient voir ces derniers subir la loi du Talion. Au-delà de l’espoir de voir justice être rendue en sa faveur, peu importe la manière, je crois que bien d’adultes blessés par leurs parents, désirent inconsciemment une restitution des moments douloureux. L’enfant meurtri en eux attend désespérément le jour où papa et/ou maman va enfin admettre ses torts et devenir le père et/ou la mère dont il a toujours rêvé. Malheureusement, les choses ne se passent pas très souvent ainsi. Le cœur de l’ex-enfant se remplit alors d’amertume. Tant que ces blessures affectives n’auront pas été pansées puis complètement cicatrisé, certaines interactions avec le parent imparfait ressembleront à une répétition en boucle de cette scène:

« Il l’attrapa à la gorge et se mit à l’étrangler en disant: ‘Paie ce que tu me dois.’ «  (Matthieu 18:28; Segond 21)

I can only imagineJusqu’à ce que je regarde le film « I can only imagine », je n’avais jamais réalisé cet autre aspect important de la Parabole du serviteur impitoyable (Matthieu 18:23-35). Certes, je saisissais très bien que puisque Dieu nous pardonne nos péchés quand nous le LUI demandons, il est de notre devoir d’en faire de même envers ceux qui nous demandent pardon, sous peine d’être tourmentés par l’ennemi. Cependant, je n’avais jamais prêté attention au fait que le mauvais serviteur marchait tranquillement dans la rue, quand il a soudainement aperçu son débiteur; il s’est alors jeté sur lui. Il ne lui a pas laissé le temps d’en placer une. Il l’a saisi immédiatement par la gorge, s’est mis à l’étrangler et à s’écrier: « Rembourse-moi! Rembourse-moi à l’instant! Rembourse-moi!«  Il devrait être facile pour nous d’imaginer la scène, on l’a vue à plusieurs reprises dans des films de pègre: le membre d’une organisation criminelle quelconque qui met un couteau sous la gorge à un débiteur, une fois le délai de paiement échu. Revenons à la parabole! Que voulait le serviteur impitoyable? Exactement ce qu’il avait prêté! Mais supposons que l’autre soit sorti sans son portefeuille ce jour-là; était-il alors en mesure de lui restituer son dû à l’instant même? Le débiteur a imploré la clémence et la patience du serviteur impitoyable, mais celui-ci a préféré le jeter en prison jusqu’au paiement complet de la dette. De quelle prison s’agit-il? La prison de notre rancœur profonde à l’égard de cette personne! Et lorsqu’il s’agit de quelqu’un que l’on est amené à côtoyer souvent, on ne se gêne pas pour faire rappeler, consciemment ou pas, son statut de détenu à ce débiteur, que ce soit par notre attitude distante, nos gestes ou nos mots.

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Rembrandt, Old man in prayer – Museum of Fine Arts Boston (Wikimedia Commons)

La vieillesse est un temps d’introspection pour beaucoup, même pour ceux qui ne sont pas reconnus pour leur sagacité. C’est le temps des regrets et des remords. Non seulement, on constate qu’on n’a plus beaucoup de temps devant soi mais surtout, on se rend compte qu’on ne peut plus revenir en arrière. Pour le parent, l’époux, l’ami, l’enfant ou tout simplement l’être humain qui prend conscience du mal qu’il a fait et qu’il ne peut pas réparer à cause de l’écoulement du temps, s’est cristallisée une dette qu’il ne pourra jamais rembourser. L’enfant blessé à l’intérieur du créancier a beau prendre à la gorge le parent débiteur, celui qui le rossait de coups à volonté, qui abusait sexuellement de lui, qui a détruit son estime de lui-même ou l’a isolé de tous par ses mensonges, ce parent ne pourra JAMAIS lui restituer ces instants de vie détruits. Aucun être humain ne peut remonter le temps et aller corriger ses méfaits ou en annuler les effets néfastes sur autrui. Par conséquent, c’est vraiment peine perdue que d’attraper à la gorge son prochain et de le secouer comme un prunier : il y a des situations qui ne pourront malheureusement jamais être remises en l’état, du point de vue humain. En revanche, lorsqu’on analyse la situation par le bon bout de la lorgnette, on s’aperçoit qu’il n’y a qu’une seule personne qui peut nous offrir cette réparation, cette restauration: c’est l’Éternel, le maître du temps et des circonstances (Daniel 2:21). Seul Dieu peut guérir nos blessures affectives! Oui, mais qu’en est-il quand même de la sanction de l’offense ou en termes plus clairs, du châtiment à infliger à son auteur? On ne va quand même pas nous faire croire que les gens peuvent blesser à outrance leurs prochain de façon délibérée sans qu’ils ne subissent rien!

Avez-vous déjà fait une réclamation à votre compagnie d’assurances pour un dégât des eaux causé par votre voisin? Sur la base de votre police d’assurance et après une enquête, votre assureur vous indemnisera puis se retournera vers votre voisin (ou son assureur) afin de se faire rembourser. En droit, ce mécanisme s’appelle la subrogation: votre assureur est subrogé dans vos droits d’assuré. Il en est de même lorsqu’une offense prend place entre deux personnes. Lorsque l’une de ses créatures blesse une autre, l’Éternel est subrogé dans les droits de la victime. IL prend sur LUI la faute, vous indemnise puis réclame alors son dû à l’offenseur. L’Éternel devenant alors le créancier de l’auteur de l’offense, IL peut décider de lui remettre sa dette si l’offenseur le LUI demande (c’est à dire que tant que l’on ne reconnaît pas sa faute et qu’on ne demande pas avec un esprit sincèrement contrit, pardon à Dieu pour son action, on reste redevable de ce péché envers LUI).

Lorsque l’on souffre profondément à cause des actions de quelqu’un et que l’on réclame « oeil pour oeil, dent pour dent, douleur pour douleur » (c’est ma version de la Lex Talionis 😋), il est bon de se rappeler que le Messie étant subrogé dans vos droits, IL a pris les coups que vous réservez à votre offenseur. Ésaïe 53 est éloquent sur ce point; si vous n’êtes toujours pas convaincu(e), vous pouvez revoir ces images pour vous aider à imaginer le degré de souffrance que Yeshua a enduré à la place de votre offenseur:

 

« I can only imagine » (en français: La voix du pardon) (2018) est un film inspiré de la vie de Bart Millard, le chanteur du groupe chrétien américain MercyMe. Son père était très violent et le battait 3 ou 4 fois par semaine. Dans le clip ci-dessous, Arthur Millard, épris de remords quant au mal qu’il a causé à son fils, essaie (de son mieux) de faire amende honorable mais sans succès. Son regard traduit toute l’impuissance de l’offenseur qui regrette vraiment son péché et donnerait tout pour l’effacer mais qui ne peut pas.

Dans le cas de de parents vieillissants ou en fin de vie qui regrettent le mal fait qu’ils ont fait à leurs enfants, il est très important de ne pas occulter le contexte culturel et/ou générationnel. En effet, dans certaines cultures, il n’est pas concevable que le parent puisse perdre la face devant son enfant. Ne vous attendez donc pas à recevoir des excuses verbales! D’un point de vue générationnel, il est aussi bon de se rappeler que ce n’est que vers la fin du 20e siècle que l’humanité a commencé à concevoir et accepter qu’il puisse exister de mauvais parents. Avant cette prise de conscience, la règle immuable était: « Tu n’as qu’un seul père et une seule mère, tu leur dois la vie. S’ils t’ont fait du mal, ce n’était sûrement délibéré car après tout, ils t’ont logé(e), blanchi(e) et nourri(e). » Alors, un parent empreint à la fois de remords et de cette façon de voir les choses, essaiera d’exprimer ses regrets par des gestes, bien souvent maladroits, de repentance/réconciliation… comme le père de Bart Millard.

Cette scène du film m’a aussi permis de mieux comprendre cet autre passage biblique:

« Veillez à ce que nul ne se prive de la grâce de Dieu; à ce qu’aucune racine d’amertume, poussant des rejetons, ne produise du trouble, et que plusieurs n’en soient infectés;«  (Hébreux 12:15)

Se priver de la grâce de Dieu dans un contexte où votre offenseur repentant ne pourra jamais vous rembourser votre dette, consiste à ne pas se rendre compte que le Dieu de justice, YHWH-Tsidkenu a été subrogé dans vos droits et s’est porté lui-même volontaire pour accepter le châtiment que vous destinez à votre offenseur. Lorsqu’on décide d’ignorer ce mécanisme de subrogation, on se retrouve à baigner dans une cuve de ressentiment et d’amertume qui se remplit petit à petit. Un peu comme ce qui arrive, quand par votre comportement, vous empêchez l’assureur d’exercer son droit à la subrogation: soit il vous a déjà indemnisé pour le dégât d’eau et vous demande de le rembourser; soit il refuse de vous indemniser et à vous de débrouiller! Dans tous les cas, vous vous retrouvez dans une situation pas tendre pour vos cheveux et vos nerfs!

Je vous quitte avec le clip vidéo de la chanson que Bart Millard a écrite après le décès de son père; elle a donné son titre au film.


L’opinion émise dans ce billet n’engage que son auteure.

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