Le dernier repas de Yeshua était-il un Seder (2eme partie)

Pains sans levain (matzoth) et Vin

 

1ère partie

LE DERNIER REPAS DE YESHUA

Non seulement les avis divergent quant à la date du dernier repas du Messie (13 au 14 Nisan), mais aussi c’est aussi le cas quant à la vraie nature de celui-ci : était-ce un Seder c’est-à-dire un souper commémoratif de la Pessa’h ou s’agissait-il d’un simple repas de tous les jours?

La date

Point de départ de la détermination : selon le calendrier juif, une journée débute avec le crépuscule du soir et se compose donc d’une nuit puis d’un jour.

À la lecture des passages suivants des évangiles synoptiques, on constate que le dernier repas du Messie a eu lieu aux premières heures du 14 Nisan.

« Le premier (πρτος, prtos) jour des pains sans levain, les disciples s’adressèrent à Jésus, pour lui dire: Où veux-tu que nous te préparions le repas de la Pâque? Il répondit: Allez à la ville chez un tel, et vous lui direz: Le maître dit: Mon temps est proche; je ferai chez toi la Pâque avec mes disciples. Les disciples firent ce que Jésus leur avait ordonné, et ils préparèrent la Pâque. Le soir (opsios) étant venu, il se mit à table avec les douze.  » (Matthieu 26 :17-20 ; cf. Marc 14 :12-17)

« Le jour des pains sans levain, où l’on devait immoler la Pâque, arriva, et Jésus envoya Pierre et Jean, en disant: Allez nous préparer la Pâque, afin que nous la mangions. Ils lui dirent: Où veux-tu que nous la préparions? Il leur répondit: Voici, quand vous serez entrés dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau; suivez-le dans la maison où il entrera, et vous direz au maître de la maison: Le maître te dit: Où est le lieu où je mangerai la Pâque avec mes disciples? Et il vous montrera une grande chambre haute, meublée: c’est là que vous préparerez la Pâque. Ils partirent, et trouvèrent les choses comme il le leur avait dit; et ils préparèrent la Pâque. L’heure étant venue, il se mit à table, et les apôtres avec lui. » (Luc 22 :7-14)

Les Évangiles synoptiques évoquent le « jour des pains sans levain » (Pessa’h ; Lévitique 23 :5) et non de la « fête des pains sans levain. » (Chag Ha-Matzot ; Lévitique 23 : 6-8). D’après les prescriptions de l’Éternel, à compter du 14 Nisan et pendant huit jours, Israël doit manger des pains sans levain. Le premier de ces huit jours correspond à la journée de la célébration de Pessa’h, tandis que les sept autres jours sont ceux du festival des pains sans levain, Chag Ha-Matzot.

En se basant sur les chapitres de l’Évangile de Jean relatifs au dernier souper, à l’arrestation et au procès de Yeshua ainsi qu’à ses dernières heures de vie, certains commentateurs bibliques affirment que le repas consommé par le Messie avant son arrestation n’était pas celui de la Pâque.

« Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, et ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, mit le comble à son amour pour eux. » (Jean 13 :1)

Or, le terme grec « Pascha » utilisé dans ce verset et traduit par « Pâque » a une signification assez variée à l’époque de la rédaction de l’Évangile de Jean. En effet, il peut, entre autres, désigner :

  • l’institution annuelle mise en place dans Exode 12 :1-14 ;
  • l’agneau offert en holocauste le 14 Nisan spécifiquement pour la Pâque ;
  • le souper de la fête de Pâque ;
  • les réjouissances de 7 jours, qui s’étendent du 15 au 21 Nisan inclus et pendant lesquelles des pains sans levain doivent être consommés ; en un mot, la combinaison de la fête de Pâque et celle des pains sans levain.

Plutôt que d’essayer de déterminer à quelle interprétation de Pascha l’apôtre Jean faisait référence, penchons-nous juste sur quelques indices temporels qu’il nous fournit dans son récit au chapitre 13.

  • Verset 2-4 : « Pendant le souper, lorsque le diable avait déjà inspiré au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, le dessein de le livrer, Jésus, qui savait que le Père avait remis toutes choses entre ses mains, qu’il était venu de Dieu, et qu’il s’en allait à Dieu, se leva de table, ôta ses vêtements, et prit un linge, dont il se ceignit. »
  • Verset 30 : « Judas, ayant pris le morceau, se hâta de sortir. »
  • Verset 38 : « Jésus répondit : Tu donneras ta vie pour moi ! En vérité, en vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois. »

Plus tard dans Jean 18 :28, l’évangéliste indique que Yeshua a été arrêté et jugé « après avoir dit ces paroles », puis que « c’était le matin » (proia: tôt dans la matinée, début de la journée) lorsqu’IL a été conduit chez Ponce Pilate et qu’IL a ensuite a été crucifié le même jour. Il est donc évident que le dernier repas du Messie a eu lieu aux premières heures du 14 Nisan (jeudi soir).

Légende : Correspondance des 14, 15 et 16 Nisan au cours de l’année du décès du Messie avec la computation des jours selon le calendrier romain de l’époque.

Indéniablement, le dernier repas du Messie s’est déroulé aux premières heures du 14 Nisan, c’est-à-dire peu de temps après 18 :00 le jeudi. Le Messie est décédé environ 21 heures plus tard, toujours pendant la journée du 14 Nisan, cette période correspondant à l’après-midi du vendredi. Après 17 :00, qui était l’heure limite d’immolation des agneaux au Temple et avant le coucher du soleil, les familles juives de Jérusalem ont entamé le rituel du repas pascal… en gros, vers la fin de la journée du 14 Nisan. Ce souper s’est ensuite poursuivi pendant les premières heures du 15 Nisan, qui correspondent à la nuit du vendredi.

Étant donné que tout sacrifice d’agneau pascal fait en dehors des jours et heures officielles d’immolation du Temple était invalide, la question qui subsiste au regard de Yeshua est celle de la nature du dernier souper pris avec les disciples.  S’agissait-il en revanche d’un « vrai » repas pascal, avec de « la chair d’agneau rôti au feu, des pains sans levain et des herbes amères » ?

La nature du repas

Yeshua savait qu’IL serait arrêté puis condamné à mort, au moment où IL mange pour la dernière fois au début de la journée du 14 Nisan, soit le jeudi soir. 

Les arguments de ceux qui disent que Yeshua n’a pas pris part à un Seder de Pessa’h

Le dernier repas du Messie aurait eu lieu le 13 Nisan et non le 14 Nisan

Certains auteurs affirment qu’il est impossible, d’un point de vue logistique, que tous les évènements ayant eu lieu après le dernier souper de Yeshua et Sa crucifixion puissent s’être déroulés entre jeudi soir et vendredi matin à 9 :00 (dans un intervalle de 6 à 9 heures). Alors pour résoudre cette incohérence, ils avancent l’argument de l’existence de deux calendriers à l’époque du Second Temple ; c’est la position du professeur Colin J. Humphreys de l’université de Cambridge (The Mystery of the Last Supper: Reconstructing the Final Days of Jesus, Cambridge University Press; 2011). Selon lui, les auteurs respectifs des trois évangiles synoptiques auraient utilisé un calendrier juif plus ancien distinct du calendrier lunaire en vigueur à l’époque du Second Temple. Humphreys postule que Yeshua aurait décidé de la date de son repas pascal en fonction de l’ancien calendrier tandis que l’évangéliste Jean aurait plutôt tenu compte du calendrier officiel, lorsqu’il indique que le dernier souper s’est tenu avant le repas de Pessah. C’est ainsi qu’il parvient à la conclusion que le repas ultime de Yeshua aurait eu lieu le 13 Nisan, soit le Mercredi 1er Avril de l’an 33 selon le calendrier julien.

Cet argument de l’usage de deux calendriers découle de la découverte des Manuscrits de la mer Morte, qui montrent que les esséniens utilisaient un calendrier différent de celui en vigueur. Toutefois, cette information est-elle suffisante pour conclure qu’il en était de même pour Yeshua et qu’IL a célébré Pessa’h en accord avec les pratiques des esséniens ?

Pour des raisons historiques: le Seder aurait été formalisé après l’an 70

Yeshua n’aurait pas pris part à un Seder, du moins dans sa forme contemporaine, puisque la structure complète du Seder n’a été parachevée que dans les années qui ont suivi la destruction du Temple.

Il est vrai que le judaïsme rabbinique, dont les auteurs ont établi le déroulement du Seder, n’est à proprement dit apparu qu’après l’an 70. Toutefois, il y a des preuves dans les sources rabbiniques qui suggèrent que certains éléments du Seder (les coupes de vin, le fait de chanter certains psaumes) avaient déjà été adoptés par le peuple avant l’an 70 et déjà à l’époque de Yeshua, comme l’attestent les Évangiles.

Les agneaux pascaux n’avaient pas encore été immolés au Temple

Au moment où Yeshua et ses disciples prenaient part au dernier repas du Messie, le korban Pessa’h n’avaient pas encore été immolés. On peut donc en déduire que Yeshua n’a pas consommé de la viande de l’agneau pascal. Cependant, est-ce suffisant pour décréter que le Messie n’a pas eu de souper pascal ?

Après la destruction du premier Temple, pendant l’exil à Babylone et jusqu’à ce que le Second Temple soit reconstruit en 515 av. J.-C., les Juifs n’étaient pas en mesure de sacrifier les agneaux au lieu choisi par l’Éternel et où régnait Son nom. Ils ne pouvaient donc pas célébrer Pessa’h en se conformant strictement aux prescriptions divines (Deutéronome 16 :2). C’est d’ailleurs le cas aujourd’hui où il n’existe toujours pas de Temple. Peut-on donc dire que les Seder qui ont eu lieu depuis la destruction du Second Temple, ne seraient pas de vrais repas de Pessa’h à proprement dit, en raison de l’absence de la viande rôtie d’un agneau immolé par les prêtres ?

Alors qu’IL savait sa fin proche, Yeshua tenait-IL avant tout à commémorer le passage de l’Éternel au-dessus des maisons des Israélites en Égypte, lorsqu’IL exprime son souhait ardent de faire ou manger « la Pâque » avec Ses disciples ou à exécuter les rites associés à la célébration de Pessa’h ? (Exode 12 :14)

« Avant la fête de Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, et ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, mit le comble à son amour pour eux. Pendant le souper, lorsque le diable avait déjà inspiré au cœur de Judas Iscariot, fils de Simon, le dessein de le livrer, Jésus, qui savait que le Père avait remis toutes choses entre ses mains, qu’il était venu de Dieu, et qu’il s’en allait à Dieu, se leva de table, ôta ses vêtements, et prit un linge, dont il se ceignit. » (Jean 13 :1-3)

Yeshua n’a pas consommé de pain azyme donc sans levain

Les textes grecs originaux des Évangiles mentionnent le mot « artos » pour parler du pain lors des scènes relatives au dernier repas du Messie (Matthieu 26:26; Marc 14:22; Luc 22:19; 1 Corinthiens 11:24). Les trois auteurs des Évangiles synoptiques n’ont pas employé pas le mot « azumos » à l’instar des autres fois où ils faisaient référence à des « pains sans levain ».

« Le premier jour des pains sans levain (azumos), les disciples s’adressèrent à Jésus, pour lui dire : Où veux-tu que nous te préparions le repas de la Pâque ? » (Matthieu 26 :17)

« La fête de Pâque et des pains sans levain (azumos) devait avoir lieu deux jours après. » (Marc 14:1)

Du fait de cette apparente contradiction d’ordre sémantique, certains commentateurs affirment donc que Yeshua n’aurait pas mangé de pains sans levain pendant Son dernier repas. Or, l’usage du mot « artos » n’est pas une preuve convaincante du fait que Yeshua n’aurait pas pris part à un souper de Pessa’h. En effet, « artos » est un terme générique pour désigner tout type de pain : avec levain, sans levain, de mie, à base de seigle, complet, etc. Dans leurs écrits sur la Pâque, Flavius Josèphe et Philon d’Alexandrie utilisent le mot grec « artos » pour faire référence à la matzah, au pain sans levain. La langue grecque ne permet donc pas de déduire que le pain se trouvant sur la table devant Yeshua était sans levain ou pas. En revanche, Matthieu, Marc et Luc nous informent que c’était le « premier jour des pains sans levain. » Il serait donc étonnant qu’un juif pratiquant comme Yeshua, qui tenait absolument à prendre part au repas pascal, ait eu à sa table des pains avec du levain.

Les arguments de ceux qui affirment qu’il s’agissait bien d’un repas pascal

Ils sont plutôt simples. Jésus, en tant que juif pratiquant, devait se rendre à Jérusalem pour célébrer la Pâque, et c’est ce qu’IL a fait en entrant dans la ville à dos d’ânon, le 10 Nisan (Matthieu 21.1-11). Les scènes du dernier repas que l’on retrouve dans les Évangiles semblent suivre l’ordre déterminé par les rabbins de l’époque du Second Temple et que l’on retrouve dans la Mishnah. Ainsi, dans les récits du Nouveau Testament, nous retrouvons des références à :

  • au kiddush (bénédiction pour le vin) et la première coupe de vin (Luc 22:17-18) ;
  • l’urchatz/ Our’ha ורחץ : en revanche, au lieu que les convives se lavent les mains, Yeshua a procédé au lavement des pieds des disciples (Jean 13 :1-17) ;
  • la fraction de la matzah (Matthieu 26 ; Marc 14 :2 ; Luc 22:19) ;
  • la troisième coupe (Matthieu 26 :27-29 ; Marc 14 :23-25 ; Luc 22:20) ;
  • la position allongée (Matthieu 26 :20 ; uc 22:14) ;
  • au charoseth ou au maror (Matthieu 26:23 ; Jean 13 :26-27) ;
  • ainsi qu’aux hymnes, Hallel, chantés après la quatrième coupe (Matthieu 26:30 ; Marc 14 :26). 

CONCLUSION

Pourquoi se demander si Yeshua a pris part à un Séder (peu importe si par l’emploi de ce terme, on songe aux célébrations contemporaines de la Pessah ou à celles de l’époque de Yeshua)? Parce que de cette nuit, est issu un rituel commémoratif clé du corps du Messie et dont le contexte culturel juif reste important, afin notamment d’interpréter le sens des paroles et des gestes de Yeshua exactement comme l’auraient compris Ses disciples.

Est-ce pour autant une raison valable pour des croyants non juifs, qui n’ont pas de belles-familles juives ou qui appartiennent à des assemblées de croyants non juifs, de décider d’organiser des Seder de Pessa’h parce qu’ils aimeraient reconstituer aussi fidèlement possible ce qui s’apparenterait, selon eux, au dernier repas du Seigneur ? En tout cas, certaines églises le font déjà en utilisant des versions adaptées de l’Haggadah et qui tiennent compte du fait que Yeshua est le Messie et de l’importance de Son sacrifice.

Pour ma part, en tant que non-juive et non-membre d’une famille juive, je n’organiserai jamais un Seder de chez moi, qu’il soit selon les rites juifs ou ma version « chrétienne » de l’évènement, à moins que ce ne soit à l’initiative d’un(e) croyant(e) juif(ve) et qui présidera le repas. Je n’assisterai pas non plus à un repas tenu uniquement par des croyants non juifs et qui serait annoncé comme étant un Seder; je trouve que ce type de célébrations frise l’appropriation culturelle et religieuse. En effet, ne soyons pas prompts à oublier plusieurs siècles de théologie du remplacement et d’antisémitisme dans l’Église et qui sont le résultat de la coloration « non-juive » donnée, entre autres, à des fêtes religieuses juives (cf. article sur la raison du passage de la Pâque à PâqueS! ) Toutefois, j’admets que j’ai déjà pris part en tant que convive à un Seder organisé par ma congrégation de juifs messianiques, un soir de 14 Nisan et c’est la démarche qui me sied.

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L’opinion exprimée dans ce billet n’engage que son auteure.

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