Le dernier repas de Yeshua était-il un Seder? (1ère partie)

Photo de Yosef Silver | Flickr

 

Aux États-Unis, de plus en plus de communautés chrétiennes organisent désormais des soupers pascaux calqués sur le Seder de Pessa’h, dans un désir de reconstituer aussi fidèlement que possible le dernier repas de Yeshua. En effet, il ne fait aucun doute à la lecture d’Exode 12 que le repas mangé pendant la nuit du 14 Nisan représente le cœur de la fête de Pessa’h. C’est donc au cours de cet évènement majeur de la vie de tout juif de son époque que Yeshua va instituer le rite de la Communion, Eucharistie, Fraction du pain ou Sainte Cène, qui se substituera dans le Christianisme au souper de la Pâque juive. Toutefois, étant donné que jusqu’à l’an 70 de notre ère, le repas de Pessa’h impliquait la consommation du Korban Pessa’h, dans quelle mesure les Seder de Pessa’h contemporains ressemblent au dernier auquel Yeshua a pris part ?

Si l’on se fie aux instructions du Pentateuque, voici ce qui devrait se passer pendant un repas de Pâque, la nuit du 14 Nisan :

  • de la viande d’agneau rôtie doit être mangée avec des pains sans levain et des herbes amères (Exode 12 :8) ;
  • le père de famille doit expliquer à ses enfants, la signification de ce rite annuel qui a été prescrit à perpétuité au peuple d’Israël par l’Éternel (Exode 10 :2 ; 12 : 26-27 ; 13 :8).

Cependant, au fil du temps, un certain nombre d’aliments, de gestes et de préceptes se sont rajoutés au point de mettre en place un rituel appelé Seder, un mot hébreu signifiant « ordre ». Ce sont les pharisiens qui sont à l’origine du Seder, c’est-à-dire de cette célébration ordonnée du repas de Pessa’h. Certains changements apportés aux directives de la Torah, à partir de la période des Tannaïm, sont mentionnés dans les récits du dernier repas de Yeshua dans les Évangiles : la présence obligatoire des différentes coupes de vin, la position allongée et sur le côté des convives, le fait de devoir chanter des psaumes. Pourquoi d’ailleurs les convives mangent inclinés ou accoudés sur le côté gauche ? Parce que cette posture illustre la liberté dont jouit désormais le peuple d’Israël, après avoir été délivré par le bras puissant de l’Éternel.

« Un des disciples, celui que Jésus aimait, était couché sur le sein de Jésus. » (Jean 13 :23)

« Pierre, s’étant retourné, vit venir après eux le disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant le souper, s’était penché sur la poitrine de Jésus, et avait dit : Seigneur, qui est celui qui te livre? » (Jean 21 :20)

Ainsi, l’origine du Seder, tel qu’il est connu aujourd’hui, ne se trouve pas dans la Bible. En effet, le déroulement actuel du repas n’est mentionné ni l’Ancien ni dans le Nouveau Testament et encore moins, dans le livre apocryphe des Jubilées (chapitre 49). La version moderne du Seder ne s’est mise en place qu’après la destruction du Second Temple.

Déroulement et éléments principaux d’un Seder

Ère moderne

Le Seder est composé de 15 étapes qui suivent un ordre très précis.

  1. on débute avec une période de bénédiction (kaddesh/qaddesh קדש) pendant laquelle le chef de famille récite la bénédiction pour le « fruit de la vigne », le kiddush/kiddouch קידוש, au-dessus de la première coupe de vin du repas.

« Et, ayant pris une coupe et rendu grâces, il dit : Prenez cette coupe, et distribuez-la entre vous; car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du fruit de la vigne, jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu. » (Luc 22 :17-18)

  1. Urchaz/Our’ha ורחץ : c’est la cérémonie de lavement des mains dans un objectif de purification rituelle; c’est un geste à accomplir avant de consommer tout aliment qui sera trempé dans un liquide (cf. Jean 13 :2-12).
  2. Karpass כרפס: il s’agit de plantes potagères, en général, du persil ou du céleri que l’on trempe dans de l’eau salée ou du vinaigre de vin (cf. Matthieu 26:21-23?). Selon certaines interprétations, ce geste est fait afin de rappeler l’amertume des larmes versées par les Hébreux pendant leur captivité en Égypte, tandis que d’autres disent qu’il représente le trempage de l’hysope dans le sang de l’agneau (Exode 12 :22).
  1. Yachatz/Ya’ha יחץ : sur la table se trouve une pochette à trois compartiments appelée matzah tosh dans laquelle ont été mises trois morceaux de pain azyme (sans levain). Le chef de famille retire de la matzah tosh un morceau entier de pain, celui du milieu. Ce morceau est cassé en deux, le plus petit morceau étant remis dans la pile tandis que le plus grand, l’afikomane אֲפִיקוֹמָן est enveloppé dans un tissu avant d’être caché. Pour les juifs messianiques, les trois matzah symboliseraient la nature trinitaire de Dieu. Quant à l’afikomane brisé, enveloppé dans du tissu, caché pendant tout le repas puis ressorti plus tard, il ferait écho à l’enveloppement du Fils, Yeshua, dans un linceul, à son enterrement puis à sa résurrection (Matthieu 27 :57-66 ; 28 :1-7 ; Marc 15 :45-46 ;16 :1-7 ; Luc 23 :50-53 ; 24 :1-7 ; Jean 19 :38-42 ; 20).
  1. Maggid/Magguid מגיד: Cette étape du Seder débute avec le dévoilement (partiel) et l’élévation du petit morceau de pain brisé à l’étape précédente. Une proclamation inspirée de Deutéronome 16 :3 est alors faite :

הא Voici le pain d’affliction que nos ancêtres ont mangé au pays d’Égypte. Que celui qui a faim vienne et mange. Quiconque est dans le besoin, qu’il vienne et participe à la célébration de Pessa’h. Cette année, nous sommes ici ; l’année prochaine, nous serons en Eretz Yisrael. Cette année, nous sommes des esclaves ; l’année prochaine, nous serons des hommes libres.

Puis, la seconde coupe de vin est remplie. Un enfant pose alors une série de quatre questions (mah nishtana) trouvant leur origine dans Exode 12: 26-27 et dont voici une traduction approximative :

מה נשתנה Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres ?

Les autres nuits, nous n’avons pas l’habitude de tremper ne serait-ce qu’une fois. Cette nuit, nous trempons deux fois.

Les autres nuits, nous mangeons du levain (chametz) ou du pain azyme (matzah). Cette nuit, nous ne mangeons que de la matzah.

Les autres nuits, nous mangeons tous les types de légumes. Cette nuit, nous mangeons des herbes amères (maror).

Les autres nuits, nous mangeons soit assis, soit allongés. Cette nuit-là, nous sommes tous allongés.

La seconde coupe de vin est bue après la lecture de la première partie de la Haggadah (texte lu et incluant un récit de l’Exode) tout en étant accoudé ou plutôt incliné sur le côté.

  1. Raza/Ra’hā רחצה : les convives procèdent à l’ablution des mains (netilat yadayim) juste avant la fraction du pain (Marc 7 :2-4 ; Luc 11 :37);
  1. Moti מוציא : la matzah ou pain azyme/pain sans levain symbolise le péché. Tout en tenant la matzah tosh, la bénédiction usuelle pour le pain est récitée : « Baruch ata Adonai Eloheinu Melekh ha-olam ha-motzi lechem min ha-aretz » (Béni est-Tu, Seigneur notre Dieu, Roi de l’univers, qui donne le pain de la terre !).

Les juifs messianiques voient dans les stries et trous de la matzah telle que se présente à nous aujourd’hui, des allusions à Ésaïe 53 :5 ; Zacharie 12 :10 et Apocalypse 1 :7. TOUTEFOIS, il est important de souligner que ces rayures et trous ne sont que le résultat des machines employées pour la production en masse de matzoth. Il est vrai que Yeshua  a quand même comparé son corps livré en sacrifice à la matzah lors de son dernier repas (Luc 22 :19).

  1. Matzah מצה : la matzah inférieure de la pile est lâchée et une seconde bénédiction est récitée.
  1. Maror מרור: des herbes amères (endive, raifort, laitue romaine, etc.) sont mangées après avoir été trempées légèrement dans du charoseth.
    3 types de maror: raifort râpé mélangé à des betteraves (chrein); laitue romaine et raifort.

    Elles rappellent l’amertume de la captivité en Égypte. Le charoseth est un mélange de vin, pommes, cannelle, miel, poire et noix, utilisé pour atténuer un peu le goût du maror. Le charoseth serait une illustration du mortier utilisé par les Israélites pour afin de fabriquer des briques.

 

  1. Korekh כורך: un sandwich composé de matzah et de maror (trempées dans du charoseth) et appelé le « sandwich d’Hillel l’Ancien » (Exode 12 :8 ; Nombres 9 :11) est mangé en position accoudée (cf. Jean 13 :26 ?).
  1. Shulan arukh/Choul’han ʿOrekh שולחן עורך: le festin est enfin servi. Les convives commencent le repas en mangeant en hors-d’œuvre, la beitzah, un œuf dur trempé dans l’eau salée et qui symbolise le korban chagigah.

NB : dans l’assiette de Seder, se trouve souvent le z’roah, un os de jarret d’agneau qui ne sera pas consommé le soir du repas pascal. Il représente le korban pessa’h qui ne peut plus être offert en sacrifice ni mangé depuis la destruction du Temple.

  1. Zafun/Tzafun צפון : Après la dégustation du repas, l’afikomane est sorti et mangé avant minuit afin de la fin du Seder. Aucun aliment ne doit être consommé après l’afikomane pour le restant de la nuit, à l’exception des deux dernières coupes de vin.

Chez les Juifs séfarades, l’afikomane symbolise le korban pessa’h ; avant de le manger lors du tzafun, les convives doivent dire : « En mémoire de l’agneau ».

  1. Barekh ברך: Une troisième coupe de vin est remplie et la bénédiction de fin de repas, Birkat Hamazone, est récitée. Le verre de vin est alors bu tout en étant accoudé ou incliné sur le côté.
  1. Hallel הלל : les psaumes de louange, 113 à 118 sont chantés. La quatrième coupe de vin est bue.
  1. Nirẓah/Nirṣā נירצה : le repas se termine avec des chants et les convives qui expriment leur espérance en le Messie en disant : « L’shanah haba’ah b’Yerushalayim! » (l’An prochain à Jérusalem).

Traditions of the Rabbis in the Era of the New Testament (source: https://www.tyndalearchive.com/TRENT/Vol1/)

NB : Bien qu’en tant que disciples de Yeshua, les écrits rabbiniques ainsi que les livres apocryphes ne servent pas de fondements doctrinaux à notre foi, ils constituent tout de même une mine précieuse d’informations cultuelles et historiques relatives à la célébration des fêtes juives au premier siècle de notre ère.

Les trois éléments principaux du repas pascal à l’époque du Second Temple, d’après la Mishnah

Il s’agissait de (1) de pains sans levain (matzoth), (2) d’herbes amères (maror) et (3) de la viande du korban pessa’h précédée de celle du korban chagigah.

Charoseth, source: https://www.flickr.com/photos/36940459@N06/8593995520

Entre le moment (théorique) du début de l’immolation des agneaux au Temple (donc 12 :01) et le début du souper de Pessah, c’est-à-dire vers la fin de la journée du 14 Nisan et peu de temps avant le coucher du soleil, il était interdit de manger quoique ce soit (M., Traité Pesachim 10.1). Il semble que les herbes amères étaient consommées à deux reprises pendant le repas : une première fois après avoir été trempées dans l’eau salée ou du vinaigre, puis une seconde fois dans du charoseth, bien que le charoseth ne soit pas obligatoire (M., Traité Pesachim 10.3). Du vin rouge, dilué avec de l’eau et réparti dans quatre coupes distinctes, devait absolument être bu pendant le repas. Une fois la viande d’agneau consommée, plus rien n’était mangé par la suite afin que l’agneau pascal soit l’ultime aliment de la nuit du 14 au 15 Nisan.

Les différentes étapes du Seder (Mishnah, Traité Pesachim 10:2-9)

Le souper débutait avec la première coupe de vin et la récitation de la bénédiction qui lui est associée. Ensuite, le chef de la maisonnée trempait les herbes amères dans le charoseth (qui n’était pas obligatoire) avant de porter son attention vers le pain sans levain. La seconde coupe de vin était alors servie et l’enfant posait la série de quatre questions sur la signification du repas de la Pessah.

En quoi cette nuit diffère-t-elle de toutes les autres nuits ?

Car toutes les [autres] nuits, nous mangeons du pain levé et du pain sans levain; cette nuit, nous ne mangeons que du pain sans levain.

Car toutes les [autres] nuits, nous mangeons d’autres légumes ; cette nuit, nous mangeons du maror (herbes amères).

Car toutes les [autres] nuits, nous mangeons de la viande rôtie, cuite à la vapeur ou cuite [dans un liquide, bouillie], cette nuit seulement rôtie.

Car toutes les [autres] nuits, nous nous trempons une fois, cette nuit deux fois.

À la fin du récit de la sortie d’Égypte, des psaumes de louange (113-114) étaient chantés. La troisième coupe de vin était servie et une bénédiction pour le repas, qui incluait l’agneau pascal, était récitée. Au moment de la quatrième coupe, les derniers hymnes (115-118) étaient entonnés. Il était interdit de boire entre la troisième et la quatrième coupe de vin.

Les quatre coups de vin (arba kosot)

Même si la Torah ne mentionne pas de vin dans les instructions relatives au repas de Pessah, les juifs de l’époque de Yeshua en consommaient par tradition. Le vin rouge (toujours coupé d’eau comme il était de coutume dans l’Empire romain à cette époque) et bu au cours du souper, était un symbole du sang du korban pessa’h, c’est-à-dire le signe de la protection et de la rédemption d’Israël (Exode 12 :13, 22-24). Lorsqu’on réalise comment les juifs du premier siècle interprétaient la présence du vin rouge sur la table du repas pascal, on ne peut s’empêcher de penser que les mots que Yeshua prononce lorsqu’il prend la troisième coupe de vin ont dû avoir une résonance particulière chez les disciples. Ils devaient être conscients que le Messie ne leur demandait pas de réellement boire son sang.

« Il prit ensuite une coupe; et, après avoir rendu grâces, il la leur donna, en disant: Buvez-en tous; car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour plusieurs, pour la rémission des péchés. » (Matthieu 26 :27-28)

Les quatre coupes de la Pâque représentent les quatre promesses faites par Dieu dans Exode 6 :6-8 et relatives à la délivrance d’Israël de l’esclavage en Égypte.

« C’est pourquoi dis aux enfants d’Israël : Je suis l’Éternel, je vous affranchirai des travaux dont vous chargent les Égyptiens, je vous délivrerai de leur servitude, et je vous sauverai à bras étendu et par de grands jugements. Je vous prendrai pour mon peuple, je serai votre Dieu, et vous saurez que c’est moi, l’Éternel, votre Dieu, qui vous affranchis des travaux dont vous chargent les Égyptiens. Je vous ferai entrer dans le pays que j’ai juré de donner à Abraham, à Isaac et à Jacob; je vous le donnerai en possession, moi l’Éternel. » (Exode 6 :6-8)

  1. la coupe de la sanctification : « je vous affranchirai ». C’était la première bue et celle qui ouvrait le rituel du repas de Pessa’h ;
  2. la coupe de la délivrance : « je vous délivrerai » ;
  3. la coupe de la rédemption : « je vous sauverai à bras étendu » ;
  4. la coupe de louange ou d’acceptance : « je vous prendrai pour mon peuple ».

La fraction du pain

Avant de manger de la viande d’agneau, les convives devaient d’abord consommer du pain sans levain et des herbes amères. Pendant le repas, le maître de table élevait la matzah et proclamait : « Voici le pain d’affliction » en référence à Deutéronome 16 :3. Il récitait ensuite la formule de bénédiction pour le pain puis en distribuait aux convives.

Le festin est mangé:

À cette étape du repas, l’agneau pascal était mangé. 

Les cantiques de louange

Les psaumes 115 à 118 étaient entonnés en conclusion du repas, les deux précédents, 113 et 114, ayant été chantés plus tôt au cours de la soirée.

Au regard de toutes ces informations, nous verrons dans la deuxième partie, si le dernier repas du Seigneur était un Seder. En attendant, voici une interprétation du Psaume 114, Betzet Yisrael , par le groupe MIQEDEM (cliquer sur « cc » pour afficher les paroles)! Chag Pesach Sameach!

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L’opinion exprimée dans ce billet n’engage que son auteure.

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