Je me souviens très clairement de l’irritation que j’ai ressentie la première fois que j’ai entendu le sermon sur la montagne, plutôt connu sous le nom de Béatitudes (Matthieu 5: 3-10). C’était pendant le cours de catéchèse au primaire. Au-delà du fait que je ne comprenais absolument pas la portée du message, j’étais énervée car aucune des bénédictions ne s’appliquait à mes circonstances. J’avais l’impression que c’était un texte contre les personnes « heureuses ». Les années s’écoulèrent et mon aversion pour les Béatitudes se mua tranquillement en indifférence totale lorsque le texte faisait l’objet d’homélies à l’église. Non, ça ne me concernait vraiment pas et j’avoue que je trouvais d’ailleurs le texte aberrant avec toutes ses contradictions. Franchement, qui se réjouirait d’être dans le deuil ou d’être persécuté?

Nous vivons à une époque où dans la plupart des pays riches, les gens n’aiment pas se faire targuer de « victime » ou plus largement de personnes qui pourraient avoir besoin de qui que ce soit pour s’en sortir. On préfère le label de « survivant » car c’est beaucoup plus agréable aux oreilles et ça regonfle l’ego convalescent. En effet, il est hors de question de devoir SUBIR un préjudice, une situation… Non, non, non! Il n’en est pas question. Alors, tout est presque appréhendé comme un combat opposant l’être humain à ce qui l’empêche d’être heureux, l’homme devant s’assurer d’être représenté comme un conquérant à l’issue de l’épreuve. Certains chrétiens pourraient même être tentés de citer (Romains 8:37)« […] nous sommes plus que vainqueurs […] ») comme justification à une telle attitude au sein du corps du Christ. Soit! Pourquoi pas? Après tout, ne dit-on pas que chacun voit midi à sa porte? Peut-être qu’en fin de compte, certains psaumes du roi David, celui qui a terrassé le géant Goliath, n’auraient jamais dû être publiés.
Cependant, lorsque on fournit plus tard notre témoignage afin d’encourager autrui, est-ce adéquat de redire ou réécrire son épreuve uniquement en des termes héroïques où l’on ne s’atermoie pas sur les longues périodes de souffrance, de doute que l’on a eues? Est-ce que c’est honnête de les occulter ou les édulcorer? En un mot, si l’on n’a effectivement pas dû endosser le statut de « victime » à un quelconque moment de notre vie, comment peut-on savoir ce que c’est d’être réconforté quand on est affligé?

Durant 8 ans , j’ai vécu une traversée du désert où j’ai vu ma vie s’effondrer pratiquement sur tous les plans. Chaque fois que je pensais avoir touché le fond et que les choses ne pouvaient pas empirer, se passait un événement qui prouvait le contraire. À l’exception de deux ou trois proches amies, j’avais caché avec succès à tous l’étendue de mes difficultés. En effet, j’ai été élevée avec l’idée que la souffrance ne doit pas être vue: les autres ne doivent jamais savoir que tout va mal dans ta vie. Cependant, il m’est arrivé une profonde injustice et la relation filiale et de confiance que j’avais avec Dieu a alors volé en éclats. Je me suis sentie trahie et abandonnée par Dieu. Une personne chrétienne de mon entourage m’avait alors dit que j’avais probablement attiré ce qui m’était arrivé, en me citant Job à l’appui comme exemple, vous savez, le fameux verset de Job 3:25 (« Ce que je crains, c’est ce qui m’arrive; Ce que je redoute, c’est ce qui m’atteint. »). Mais heureusement que Dieu dans son infinie bonté est intervenu pour contredire cette interprétation dévoyée de la Parole. Sans être au courant de la remarque qui m’avait été faite, un autre croyant m’a parlé d’un enseignement sur le livre de Job donné par un pasteur, Denis Morissette. Quel formidable clin d’œil du Seigneur, quelle magnifique bouée de sauvetage lancée par un père aimant et fidèle, un Dieu de révélation que j’avais accusé à tort, quelques jours auparavant, d’être infidèle! (Ésaïe 59 :1).
Le sermon de Denis Morissette, non seulement faisait une interprétation saine et juste du livre de Job, mais était ancré dans la réalité de ce qu’est la souffrance humaine et des multiples visages qu’elle pouvait prendre, ce qui dérange souvent les bien-pensants (« les normopathes » comme il les appelle). En effet, appelons un chat, un chat : la souffrance de l’autre importune. On la fuit comme la peste, on la pense contagieuse comme la lèpre et on ne veut pas en entendre parler car le son de celle-ci trouble nos instants de bonheur. Dans son enseignement, le Pasteur Morissette dit aux gens qu’ils ont le droit de dire à voix haute : « J’ai mal ». Dieu ne nous le reproche pas, ça ne gêne pas le Seigneur. Autrement, Jésus n’aurait pas prié les Psaumes qui contiennent une bonne part de complaintes de la part de David et la Bible n’aurait pas contenu un livre intitulé Lamentations. Je commence donc à cette époque à vraiment répandre mon cœur devant le Seigneur (Psaumes 62:8) tout en continuant, néanmoins, de faire « la brave » auprès de tout le monde.
Quatre ans plus tard, je me retrouve vraiment dépouillée de tout, au sens propre et figuré, et décide d’arrêter de faire « la courageuse ». J’étais arrivée à un stade où je devais choisir entre poursuivre ma vie sans demander de l’aide et mettre mon orgueil de côté. J’ai choisi la seconde option. Chaque fois que je pensais à la situation de vulnérabilité extrême dans laquelle je me retrouvais, je revoyais le Messie quasi nu sur la croix, exposé au regard de tous et si fragile (Psaumes 22:7; Ésaïe 53). Je me disais : « Si Dieu s’est humilié au point de se mettre à la merci de ses créatures, pourquoi est-ce que moi qui ne suis que poussière, devrais-je continuer à me leurrer sur mes propres forces en pensant que je ne devais pas admettre mon impuissance et crier ma souffrance? Si Dieu n’a pas rougi d’être décrit comme un agneau mené à l’abattoir (Ésaïe 53:7), qui suis-je pour ne pas souffrir que le mot « victime » soit accolé à mon nom? Après tout, ne suis-je pas une brebis et le propre de celle-ci, n’est-il pas de laisser le berger prendre soin d’elle lorsqu’elle subit quelque chose? (Psaumes 23; Ézéchiel 34:1, 15-16). C’est à ce moment que j’ai compris l’importance d’admettre et d’assumer sa fragilité, son impuissance… son besoin de Dieu.
Le Verbe de Dieu nous dit :
«Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés!» (Matthieu 5:4).
Ainsi, pour expérimenter le réconfort divin, celui du Paraclet (Jean 14:16,26; 15:26; 16:7), il faut non seulement être dans l’affliction, mais l’assumer. Tous ceux et celles qui ont expérimenté la grâce du réconfort divin, qui se traduit par une paix ineffable dans le chagrin et les épreuves, savent que celle-ci est incommensurable et ne peut être fournie par aucun humain (Philippiens 4:7). De l’Ancien au Nouveau Testament, Dieu ne demande qu’à nous consoler, la Bible foisonnant de déclarations et de promesses à cet effet (Ésaïe 51:12; 61:2; 66:13; 2 Corinthiens 1:3; Apocalypse 7:17; Apocalypse 21:4). À quoi donc ça sert de jouer les stoïciens? Pensons-nous impressionner Dieu de la sorte?
Il n’est écrit nullement part dans la Bible que les gros bras seront consolés par Dieu. Le Seigneur nous dit par l’entremise de Paul :
« Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. » (2 Corinthiens 12:9).
Par ailleurs, n’avons pas nous un devoir de rendre des témoignages authentiques de la manifestation de la gloire de Dieu dans notre vie?
« Dieu nous console afin que nous puissions aussi consoler à notre tour, quelqu’un qui vit les mêmes choses. » (2 Corinthiens 1:4).
Mais qui a envie d’être consolé par quelqu’un qui semble incapable d’avoir les entrailles remuées par la souffrance d’autrui comme le Messie, parce que cette personne est trop occupée à garder intacte son image de non-victime, en minimisant l’étendue de ses moments de souffrance, voire de désespérance? Après avoir expérimenté ce que signifie « s’abandonner dans les bras du Bon berger et se laisser réconforter par lui », j’admets que le Sermon sur la montagne est désormais devenu l’un de mes passages préférés du Nouveau Testament, non pas parce que j’ai pu rentrer dans l’une des cases, mais parce qu’il m’a affranchie de cette pression sociale d’être une héroïne ou une survivante!
L’opinion émise dans ce billet n’engage que son auteure.
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